HYUKOH : bienvenue dans la génération post-K-pop

Le groupe coréen discute amour, bonheur et marché musical en coulisse de leur tournée mondiale.

  • Entrevue: Yae-Jin Ha
  • Photographie: Dasom Han et Seoul Studio
HYUKOH Is the Post-K-Pop Generation

« Je ne crois pas que nous étions fondamentalement destinés à faire ce genre de truc », affirme le guitariste HyunJae Lim de HYUKOH comme si ça allait de soi. Pourtant, ces propos ont de quoi surprendre, venant de quelqu’un qui est adulé par des millions de fans à travers le monde. Mais c’est exactement cette modestie nonchalante qui fait tout le charme de ce groupe indie qui apporte un vent de fraîcheur sur la scène musicale coréenne – autrement dominée par la K-pop et le hip-hop.

HYUKOH Is the Post-K-Pop Generation

Les quatre membres de HYUKOH, tous âgés de 24 ans – Hyuk Oh (chanteur et leader), HyunJae Lim (guitare), DongGeon Im (basse), et InWoo Lee (batterie) – ont connu une ascension fulgurante depuis leurs débuts en 2014. Avec ses piercings, ses tatouages, son emblématique veston gris trop grand et son attitude défiante, Oh chante l’angoisse de la jeunesse avec toute la fougue qui vient avec. Leur esthétique anticonformiste et leur attitude je-m’en-foutiste sont une anomalie dans le paysage des médias de masse coréens, au sein duquel règnent les vedettes préfabriquées en série. Les animateurs télé craquent pour le groupe, bien que le quatuor ne voit pas trop ce qu’ils lui trouvent – et qu’il n’en a rien à cirer, pour être bien honnête. Dans ce contexte social, le succès d’un groupe indie comme HYUKOH est aussi étonnant que réjouissant, mais il témoigne aussi du fait que le public s’intéresse de plus en plus aux musiciens auxquels ils peuvent s’identifier sur le plan personnel. HYUKOH est devenu le visage de la « génération Tant-Pis » – un terme inventé par les jeunes millenials coréens eux-mêmes et qui met en lumière l'effet écrasant du marché du travail concurrentiel, du système d'éducation coûteux et de l'élitisme institutionnalisé du pays.

Portés par le succès de leur dernier album, 23, le groupe a bouclé sa première tournée mondiale au cours de la dernière année. Quand j’ai rencontré les gars en coulisse de leur dernier concert à Séoul, ils avaient l’air de n’importe quelle bande de jeunes de 24 ans en train de déconner en parlant d’Eminem et de Kanye West. Mais une fois sur scène devant leurs milliers de fans, leur prestation n’avait rien de juvénile.

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Yae-Jin Ha

HYUKOH

Je m'attendais à être debout pour assister au concert, alors j'ai été plutôt surprise de voir que c’était une salle avec des places assises.

Hyuk: Il y a définitivement des avantages à se produire dans une salle de concert avec places assises. Et ça faisait longtemps que nous voulions nous produire sur cette scène rectangulaire 360 degrés. L'inconvénient avec une salle assise est que les gens ne peuvent pas vraiment danser. Ce serait plutôt gênant d'être le seul à se lever. Personnellement, je préfère jouer devant une salle où les gens peuvent danser et boire de l'alcool.

Avez-vous déjà expérimenté d'autres types d’installations par le passé?

Hyuk: La première fois qu’on a donné un spectacle, on a projeté un film sur un écran et on a joué derrière pendant tout le concert.

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Certains fans ont dû être déçus de ne pas vraiment vous voir.

Hyuk: Ouais, on a reçu beaucoup de plaintes. Mais on a réessayé en se disant que si on pouvait amener l’idée plus loin et l’améliorer, ça pourrait marcher.

Rapportez-vous des anecdotes intéressantes de votre tournée?

HyunJae: Règle générale, le public coréen ne dansera pas sur une chanson comme Wi Ing Wi Ing. Ça ne se prête pas vraiment à ça. Mais pendant un de nos concerts – je crois que c’était à Boston, dans une toute petite salle style bar –, un couple d’Américains s’est mis à danser dans la première rangée sur un rythme 2/4, ce qui a donné lieu à une scène plutôt mémorable. Quand on joue au Japon, on pourrait entendre une mouche voler dans la salle. C’est comme si les gens nous écoutaient du plus profond de leur âme.

Hyuk: On a fait tirer au sort la casquette que je porte, qui a été dessinée par mes potes de chez Dadaism Club, pendant quelques-uns de nos concerts en Corée. J'ai découvert que la première personne qui avait gagné cette casquette avait fini par la revendre.

Comment t’en es-tu aperçu?

Hyuk: Quelqu'un n'arrêtait pas de me « taguer » sur Instagram, alors j'ai été voir ça de plus près. Au début, je pensais que c'était faux. Dans la légende, cette fille disait: « Regardez ce que j'ai trouvé. Cute, non? » Dans le fil de commentaires, ses amis lui demandaient où elle l'avait eue et elle a écrit qu'elle l'avait achetée d’un fan chinois.

HyunJae: Sais-tu combien elle l’a payée?

Hyuk: Aucune idée.

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Avant de vous rencontrer, j'ai visionné un épisode de l'émission de variétés coréenne Livin' the Double Life dans laquelle vous apparaissez. Il y a une scène dans laquelle vous vous disputez. HyunJae mentionne qu'il aimerait consacrer six mois à juste travailler sur un album. Et toi, tu lui réponds en disant que non, vous devez plutôt vous adapter à l'évolution rapide du marché.

Hyuk: C'est ça le problème avec K-Drama. Ils trafiquent les scènes au montage et dramatisent tout.

C'est ce qui rend ça amusant, non?

HyunJae: Ce que je voulais dire par là, c'est que j'aimerais avoir le temps et le luxe de me consacrer à faire de la musique. Mais il faut être conscient des habitudes de consommation musicale des gens. À moins de sortir quelque chose de complètement inédit, vous compromettez votre longévité. Au final, quand il est question de musique, vous devez prouver que vous êtes capable d’apporter du nouveau dans le paysage. Autrement, vous stagnez.

Hyuk: Je comprends le point de HyunJae et je sais qu'un jour viendra le moment où nous devrons ralentir et prendre le temps de créer quelque chose de radicalement nouveau. Mais le marché mondial de la musique évolue à une vitesse vertigineuse. Il y a tellement de musiciens. Les gens ne s'intéressent pas tant que ça à nous. Comme toute chose, nous ne constituons que l'un des nombreux intérêts des gens. Je crois donc que ce n'est pas encore le moment de ralentir, mais bien d’en faire encore plus. On ne s'est même pas vraiment disputés ce jour-là. Le montage donnait l'impression que HyunJae sortait de la pièce en furie alors qu'en réalité, il venait de partir pour aller fumer une clope. Tout ça, c’est de la foutaise.

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Cette expérience au petit écran n'a donc pas été tellement positive.

Hyuk: J’ai accepté de le faire uniquement pour faire plaisir aux fans. Mais je ne pense pas que j’accepterais de faire une autre émission de variétés. Je ne sais pas pour les autres, mais perso, je ne me suis pas senti à ma place. Peut-être que la prochaine fois, je me tournerai vers le style documentaire.

Mais je crois que si les gens aiment vous voir dans ce genre d’émissions, c'est justement parce que vous n’entrez pas dans le moule glamour classique de la célébrité.

HyunJae: Dans ce genre de show, il faut jouer le jeu et essayer de plaire au grand public. Il faut en mettre plein la vue. Mais je ne crois pas que nous étions fondamentalement destinés à faire ce genre de truc.

Vous avez mentionné que le titre de votre concert, How to Find True Love and Happiness, était en fait le thème de votre prochain album. Vous avez aussi affirmé vouloir documenter votre quête d’amour véritable et de bonheur à travers vos nouvelles chansons. Comment cette aspiration a-t-elle pris forme?

Hyuk: Il y avait un bar sur Pappelallee, à Berlin...

Près de Mauer Park?

HyunJae: Ouais, ce parc un peu lugubre…

Hyuk: On habitait dans ce coin-là. L’ingénieur de son berlinois avec qui on travaillait pour 23, Norman, nous a emmenés dans un pub authentique de là-bas. On était en train de fumer quand j'ai vu cette affiche pour une exposition qui disait How to Find True Love and Happiness. Ça n’avait rien d’extraordinaire, mais je traversais une période difficile à l'époque, et c'est sans doute la raison pour laquelle ces mots m'ont accroché. J’en ai fait le thème de notre concert afin d’y réfléchir tout au long de la série de spectacles.

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Vous êtes en tournée depuis cet été et vous vous rapprochez du dernier mille. Dirais-tu que tu te sens plus près de trouver le véritable amour et le bonheur?

InWoo: Je pense que je vais d'abord avoir besoin de me poser un peu avant de pouvoir faire ou penser à quoi que ce soit d’autre.

HyunJae: Quand je pense aux derniers mois, c'est comme si on avait été emportés par un grand tourbillon. Personnellement, mon attitude en termes de performance a beaucoup changé. Avant, je voyais le fait de donner un spectacle comme une occasion de prouver quelque chose aux gens. Maintenant, j'essaie juste de profiter du moment en essayant de transmettre cette énergie positive au public. Je l’ai définitivement ressenti, mais je ne sais pas si je suis plus près de trouver le vrai amour et le bonheur pour autant.

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Le thème de l'amour et du bonheur marque un tournant par rapport à vos précédents albums, qui avaient plutôt tendance à être sombres et déprimants.

Hyuk: Nous avons déjà parlé d'amour dans nos albums, sans pour autant raconter des histoires d'amour typiques. Pareil pour le bonheur. J’ai envie d’en parler et de les trouver. L'amour et le bonheur sont des thèmes universels. Tout le monde les connaît. Même les bébés savent ce que c’est. Les gens disent qu'il faut aimer pour trouver le bonheur, mais le bonheur est tellement subjectif. Perso, si je peux trouver l'amour et le bonheur, alors je considérerai que j’ai réussi ma vie. Ultimement, la richesse, la gloire et le succès sont une chose, mais il est rare de trouver des gens qui ont réussi à conjuguer l'amour et le bonheur. Alors oui, je veux les trouver.

Yae-Jin Ha est une rédactrice et éditrice basée à Berlin.

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  • Photographie: Dasom Han et Seoul Studio